Femme de lettres, professeure, romancière, poète, militante des causes sociales et féministes, Conceição Evaristo est l’écrivaine brésilienne qui symbolise le mieux les enjeux d’une société́ qui peine à faire face aux défis de l’histoire contemporaine, notamment celui du partage des connaissances et du pouvoir accordé à un groupe composé pour la plupart d’hommes blancs. Née dans un bidonville de Minas Gerais, région du Centre-Ouest brésilien, en 1946, moins de soixante ans après l’abolition de l’esclavage au Brésil, Conceição Evaristo fut obligée de travailler toute son enfance et son adolescence comme domestique pour pouvoir poursuivre ses études. Après maintes publications et prix littéraires importants, l’écrivaine réussit à se hisser au rang des grands écrivains et poètes brésiliens contemporains. Sa candidature spontanée à l’Académie brésilienne des Lettres a suscité́ une profonde réflexion sur la place accordée aux femmes, et aux femmes noires, dans l’univers intellectuel d’un pays composé pour sa grande majorité́ par un peuple métis. L’écrivaine est également responsable de la création du concept de escrevivência (« écrivance ») – l’écriture de la vie, du vécu – concept qu’elle déploie comme moyen d’expression d’une mémoire collective, mise en lambeaux par des siècles d’esclavage, de racisme et de misogynie. Son dernier recueil de nouvelles, récemment publié en France sous le titre Ses yeux d’eau (Éditions des femmes - Antoinette Fouque), fait montre d’une sensibilité́ complexe, incarnée et lyrique, d’où jaillissent des souvenirs d’une mémoire à la fois atavique et érudite. L’écrivaine y confond la trame de sa vie avec celle d’autres femmes, de sa mère, de sa tante, et aussi d’anonymes, silencieuses, voire transparentes, rendues visibles grâce à son écriture. Selon Conceição Evaristo : « Écrire c’est écouter la vie, leur vie ; c’est écouter leurs âmes. C’est de cette écoute pendant mon enfance que m’est venue la drôle d’habitude de chercher l’intime de chaque chose, de rassembler les restes, les pièces, les vestiges, de les réinventer à ma façon dans la tentative de restituer la vie. Car l’écriture peut perpétuer l’éphémère. »
Izabella Borges
Photos: Evelyne Ducrot, 2019
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