Le cœur soucougnan

Tu ouvres ma porte, dans la nuit sourde, sans trop de bruit
Tu prends soin de raccrocher ton cœur à la porte de ta vie
Jusqu’à mon corps, tu paves la route
De tes petits mots incessants, de tes petits gestes impatients
Tu traverses les denses forêts, les furieuses rivières moussues
Mais le fracas des roches emportées par la crue t’assourdit,
Et la pluie qui inonde les razié, dévale les ravines, t’alourdit
Tu trébuches, tu glisses, tu t’enfonces,
Tu cavales, tu sautes, tu t’affoles,
Tu as tellement peur, que veux- tu, tu pourrais t’y perdre
Tu as tellement peur, car, crois-tu, je pourrais t’y perdre
Tu t’envoles, en effet, charroyé par le vent du cyclone tournoyant
Aucun arbre ne te secourt, aucune branche ne te prend court,
Te voilà, fracassé, au gré du temps, du trop rêvé,
Te voilà, tout coupé, au gré du champ, du trop choyé
Tu as tellement soif, que veux- tu, tu pourrais t’y noyer,
Tu as tellement soif, car, crois-tu, je pourrais t’y noyer
Tu n’as pas compris, n’est-ce-pas ?
Tu aurais moins peur des roches, de la boue et du vent,
Tu aurais moins soif de la pluie, du cyclone, et du temps
Si tu avais simplement raccroché ton cœur à la porte de ma vie.
Si tu m’offrais simplement d’accrocher le mien à la porte de ta vie.

Libre.
Malicieusement,
Impétueusement,
Douloureusement.
Laisse- toi t’éprendre
De ma liberté dévorante
Laisse- moi reprendre
De ta liberté attachante.
Nous sommes des réprouvés
Nous mangeons notre liberté
Dans le ventre de la mer,
Dans les mollets de nos pères,
Toujours nos cœurs carnassiers
Se parent de ces dents acérées
Qui jadis surent arracher
La peau étrangement bleutée
Des démons, des anges et des sorciers.
Laisse -moi me prendre
Dans ta liberté haletante
Laisse- toi reprendre
Dans ma liberté accueillante.
Nous sommes des éprouvés
Nous buvons notre humanité
Dans le sang de la terre
Dans les poignets de nos mères
Toujours nos âmes affamées
Se parent de ces griffes effilées
Qui jadis surent déchirer
La chair infiniment hantée
Des diables, des dieux et des fées.
Laisse -moi m’éprendre
De ta liberté dissidente
Laisse- toi reprendre
De ma liberté bienfaisante.
Nous sommes des épargnés
Nous cachons notre dignité
Dans les ossements de nos frères
Dans les silences du tonnerreToujours nos langues avisées
Se parent de ces nerfs habités
Qui jadis surent tourmenter
Les cervelles bêtement étriquées
Des crotales, des chiens, des araignées.
Laisse -les se prendre
Dans ma liberté rugissante
Laisse- les se pendre
Dans ta liberté foisonnante.
Libre.
Malicieusement,
Impétueusement,
Douloureusement,
Divinement.

Extrait de : Joelle Kabile, Nous, nu, 2019, L’Harmattan, p. 66.

Le sang de mes ancêtres me démange
Jusqu’à m’arracher la peau.
Mais toi
Le sang de tes ancêtres te démange
Jusqu’à te ronger les os.
Dis- moi
Qui donc de nous deux
Est le bienheureux ?

Extrait de : Joelle Kabile, Nous, nu, 2019, L’Harmattan, p. 31.

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