Interview de Yanick Lahens

D’abord dans ma famille proche, je vais commencer par mon père. Quand mon père est revenu, il était parti boursier parce qu’il était lauréat en droit. C’était quelqu’un de très brillant, qui a toujours insisté sur le fait que le savoir était important, qu’il faut aller à l’école....

18 Jan 2021

Origines

1) Est-ce qu’il y a des objets dans ta vie qui peuvent symboliser tes origines ?
Ça peut-être un objet fétiche. C’est à la fois une pierre, c’est du minéral. C’est un dessin de poisson, donc du monde animal et il y a un dessin de feuille dessus, du végétal. Je l’ai toujours sur mon bureau. Ça m’inspire parce que ça me permet de me rapprocher à ça, le vivant.

2) Quels legs de tes ancêtres et quelles références féminines (mère, grand-mères, tantes, autres références féminines) que tu incorpores/portes ou sens en toi ?
D’abord dans ma famille proche, je vais commencer par mon père. Quand mon père est revenu, il était parti boursier parce qu’il était lauréat en droit. C’était quelqu’un de très brillant, qui a toujours insisté sur le fait que le savoir était important, qu’il faut aller à l’école.
Ensuite le souvenir que j’ai eu de mon père, c’est les 5 premiers disques qu’il a achetés quand on a eu notre premier gramophone, tourne disque. Il était très éclectique. Il y a avait Bachir Touré qui disait des poèmes de Senghor. Il y avait Andromaque dit par Gérard Philippe, des extraits, jusqu’à présent j’ai des extraits dans ma tête. Martha Jean-Claude, il y avait Harry Belafonte, et puis Edith Piaf. Cette espèce d’éclectisme a bercé toute mon enfance. Des chansons de Martha Jean-Claude : « Tifi ki pa konn lave chita kay manmanw ». Ou bien les chansons de Brassens, certaines femmes de Brassens. Je connaissais les textes par cœur. À un moment donné, ma mère me dit qu’il ne faut pas chanter ces chansons-là chez les sœurs quand je vais à l’école. Souvent je les chantais sans savoir exactement ce que c’était. Pour moi c’est important tout ce cadrage de mon père. Il est mort, j’étais très jeune.
Et les femmes, ma mère, c’est central. Quelqu’un de persévérant, très courageuse et très disciplinée. Quand on remonte encore plus loin, c’est ma grand-mère maternelle qui m’a appris à lire et à écrire. Je me souviens encore du livre : Yaya Ti roro et Banda. Mon arrière-grand-mère que j’ai connue, qui était là, assez silencieuse, mais c’était une femme solide qui a vécu aux Gonaïves et qui a ouvert la première blanchisserie.

Identités

4)La présence des figures féminines est une constante de ta production littéraire. Est-ce lié à une certaine manière de mettre en relief le féminisme, la féminité ou la féminitude ?
La présence des figures féminines, je pense qu’il faudrait que les hommes s’y habituent. Depuis 200 ans, les hommes ont mis en scène beaucoup d’hommes dans la littérature haïtienne. Maintenant, les femmes commencent à parler, de ce qu’elles connaissent mieux, leurs propres voix de femmes. C’est un peu normal de trouver beaucoup plus de femmes dans des œuvres écrites par des femmes. On ne poserait pas la question à un homme s’il met en scène le plus souvent des hommes. Si tu prends l’œuvre de Dany, puisqu’il parle de lui souvent, si tu prends l’œuvre d’autres auteurs masculins, il y a beaucoup plus d’hommes et c’est tout à fait normal. Voilà donc à partir d’un lieu que l’on connait mieux ce lieu.
Je suis dans ce corps donné, il se trouve que j’ai une expérience donnée, un conditionnement donné et forcement je vais partir de ce conditionnement. Je ne vais pas me laisser enfermée, mais je pars de là. Il faut toujours dépasser les conditionnements. Je pense que j’écris pour dépasser ce conditionnement. Il faut surmonter les conditionnements. Je ne peux pas non plus faire fi du fait que je suis une femme. J’ai une expérience de la vie à partir de ce statut social, cette définition sociale de la femme, donc je ne peux pas faire fi de ça. Mais si je commence à faire une œuvre, j’ai exactement les mêmes angoisses devant la page blanche, les mêmes soucis que n’importe quel écrivain homme.




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