Interview de Lucette Salibur

Je suis née en France de mère et de père guadeloupéen et je suis installée depuis plus de 40 ans en Martinique. Mes parents sont arrivés à Orléans dans les années 50...

Photo: Anja Beutler, www.anjabeutler.de

24 Apr 2020

Origines

1) Quels legs de tes ancêtres et quelles références féminines (mère, grand-mères, tantes, autres référentes féminines) est-ce que tu incorpores/portes ou sens en toi ?
Je porte en moi un héritage qui ne m’a pas été transmis. Un manque, un legs que je suis venue chercher, un océan plus loin... Je suis née en France de mère et de père guadeloupéen et je suis installée depuis plus de 40 ans en Martinique. Mes parents sont arrivés à Orléans dans les années 50. Ils ont débarqué chez la mère patrie et on leur a dit qu’ils ne devraient leur salut qu’à leur capacité de s’assimiler au mieux. Et au cas où ils en douteraient, les notifications sur nos premiers livrets scolaires « charabia, petit nègre » étaient là pour le leur rappeler. Le créole fut alors tabou ainsi que tout ce qui pouvait venir alimenter l’image du petit nègre. En dépit du club des Antillais que paradoxalement ils fondèrent avec quelques antillais guadeloupéens et martiniquais, ma mère et ma grand-mère furent sans le vouloir les gardiennes du non-dit au prétexte de nous préserver d’une insidieuse discrimination.

2) De quelle manière ce/ces legs de tes ancêtres et ces références féminines se manifestent-ils/elles dans ta forme d´expression artistique ?
La quête sous -tend mon travail artistique. Une quête existentielle. J’écris des contes avec souvent un protagoniste lancé dans un voyage initiatique dont certains avec une femme guide, une femme initiatrice, une femme mère… Ce manque qui n’a pas toujours dit son nom m’a toujours habité. Adolescente tous mes journaux intimes commençaient par "Je me dois de partir". C’est comme un trou noir à l’intérieur de soi auquel je me confronte à chaque création. C’est chaque fois un travail d’investigation qui me rapproche de la source, qui m’invite à rentrer dans la conscience…Toute mon expression artistique est une alchimie miraculeuse qui me précipite dans l’intimité de l’enfantement et les contractions de l’accouchement.

3) Que souhaites-tu transmettre à ta fille, ta nièce et/ou de manière générale aux femmes plus jeunes?
L’envie d’aller plus loin, toujours, au plus loin en soi… Rentrer dans la confiance et osez prendre sa place. Savoir d’où l’on vient, pour comprendre où l’on est. De quel arbre est isue ma branche ? Qu’est ce qui se joue en soi pour mieux appréhender ce qui nous appartient de jouer. Prendre conscience que nous portons la vie, qu’il nous appartient de l’expérimenter en partageant nos expériences. Raconter notre histoire, dire notre humanité et mêler notre chant caribéen au chant du monde.

Identités

4)Comment se manifeste le matrimoine dans tes formes d’expression artistique ? Comment le vis-tu dans ton art ?
Ainsi « Youpamoune, la petite fille de l’autre bord », ou encore « Zindziwa ou la légende du vieux monde » parmi les textes que j’ai écrit. Mais aussi sur le choix des textes que je monte comme «  le collier d’Hélène » de Carole Fréchette ou il est question qu’on ne peut plus vivre comme ça ou « le gouverneur de la rosée » de Jacques Roumain ou il faut sauver l’eau, il faut sauver la vie…
Je travaille beaucoup sur la conscience. Dans les masters que je développe les participants expérimentent par exemple, la différence entre un texte dit en conscience ou sans conscience. C’est flagrant.

5) Quelle contribution penses-tu apporter au matrimoine caribéen par la pratique de ton art ?
Travaillant sur la conscience dans l’approche théâtrale je m’appuie souvent sur des personnages féminins qui sont porteuses d’humanités. Et plus j’avance dans ma quête personnelle plus je ressens l’évidente nécessité de mettre en lumière les personnalités féminines de notre histoire caribéenne.




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Improvisation: Lucette Salibur


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